Mieux comprendre les intelligences animales
Déterminée par la capacité à trouver des solutions à des difficultés rencontrées dans un certain environnement, l'intelligence se retrouve en réalité sous de multiples formes dans le règne animal. Mais à quoi peuvent ressembler ces intelligences animales ?
Comment définir l'intelligence ?
S'éloigner de l'anthropocentrisme
Pendant longtemps, l’intelligence a été mesurée à l’aune des aptitudes cognitives humaines, dans les domaines où notre espèce paraissait la plus douée : le calcul, la technique, le langage… Sa supériorité était acquise. Mais au cours des dernières décennies, l’observation des capacités étonnantes développées par d’autres animaux a poussé à adopter une définition moins anthropocentrée, c’est-à-dire détachée de la comparaison humaine. Nous y avons perdu notre place de champion, mais gagné de l’admiration pour le monde vivant dont nous faisons partie.
Définition
L’intelligence est une capacité à trouver des solutions à des difficultés rencontrées dans un certain environnement.
S'affranchir du cerveau
Cette conception élargie de l’intelligence ne fait plus, désormais, référence au support de l’intelligence humaine : le cerveau ! Il n’est pas nécessaire de disposer d’un cerveau de bonne taille, hébergeant des milliards de neurones, et de mille fois plus de connexions, pour faire preuve d’ingéniosité. La meilleure démonstration nous en a été servie par le blob (Physarum polycephalum). Cet organisme est composé d’une seule cellule, gigantesque, et n’entre ni dans la catégorie des plantes, ni dans celle des animaux ou des bactéries. Habitant des sous-bois, il est capable d’apprendre (par exemple à ne plus éviter le sel, un répulsif naturel) et même de trouver le chemin le plus court dans un labyrinthe.

Blob dans une boîte de Petri
© MNHN - F.-G. Grandin
Poulpe veiné (Amphioctopus marginatus)
CC BY-NC LcolmerDes intelligences multiples
Les animaux développent des intelligences dans des domaines qui leur sont utiles, grâce à des sens spécifiques. C’est ainsi que la tortue caouanne (Caretta caretta) utilise l’intensité et l’inclinaison du champ magnétique terrestre pour retourner pondre sur la plage où elle est née après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans l’océan Atlantique. Les poulpes sont quant à eux capables d'évaluer s’ils ont une chance de passer dans un trou en le palpant avec leur bras et en le comparant avec l’idée qu’ils se font de la taille minimale de leur propre corps.
Des intelligences inconnues
Plus on s’approche des intelligences animales, plus la conclusion s’impose : la nôtre est probablement trop limitée pour envisager leur infinie variété. Nous ne saurons jamais comment un blob réfléchit sans système nerveux, ni comment une abeille compte sans doigts, ni la façon dont un éléphant se souvient sans paroles. Difficile alors de tester ces capacités qui nous échappent, d’autant qu’elles se déploient en milieu naturel et restent souvent indécelables en laboratoire.
On ne cesse de découvrir des stratégies et des capacités cognitives nouvelles chez les animaux. Je crois qu’on ne sera jamais exhaustifs.
Anthony Herrel, directeur de l’équipe de recherche FunEvol au Muséum national d’Histoire naturelle
Des capacités cognitives individuelles

Éléphants d'Asie (Elephas maximus)
© Adobe Stock - M. ChanikranLa conscience de soi
« J’existe en tant qu’individu », voilà sans doute un des axiomes sur lesquels se fonde l’intelligence humaine. Pour tester la conscience de soi, un psychologue américain a inventé le test du miroir dans les années 1970. Il consiste à placer une marque colorée sur le corps de l’individu (à son insu), de lui présenter un miroir, et de noter si sa réaction atteste qu’il comprend être en train d’observer sa propre image. Un enfant portera par exemple sa main à son front dès 18 mois. D’autres animaux ont réussi ce test, comme les bonobos (Pan paniscus), les grands dauphin (Tursiops truncatus), les éléphants d'Asie (Elephas maximus) et même les labres nettoyeurs (Labroides dimidiatus), de petits poissons tropicaux ! Mais l’exercice est aujourd’hui accusé d’être très réducteur, éliminant notamment des animaux pour lesquels la vue n’est pas un sens primordial.
La capacité à manipuler les nombres
Dans la nature, beaucoup d’animaux sont capables d’évaluer les quantités, ne serait-ce que pour ne pas affronter des concurrents en surnombre ! Poussins, hyènes, abeilles font la différence entre 1, 2, 3 et jusqu’à 5 ou 6 entités. Au-delà, la précision du comptage s’estompe. L’éthologue américaine Irène Pepperberg avait même montré dans les années 2000 qu’un de ses protégés, un perroquet nommé Alex, savait utiliser le concept du zéro !
Abeilles mathématiciennes
Saviez-vous que les abeilles domestiques (Apis mellifera) sont capables de distinguer les nombres pairs des impairs ? Elles savent aussi classer les quantités et même effectuer des additions et des soustractions !
La mémorisation
Tous les animaux qui dissimulent des « biens » disposent d’une mémoire spatiale étonnante. C’est le cas des oiseaux qui font des réserves de graines ou des dendrobates à tapirer (Dendrobates tinctorius), des grenouilles colorées qui dispersent leurs œufs. Nous connaissons aussi la capacité des chiens ou des phoques à apprendre des tours et des expériences ont même montré que les poules savent mémoriser les couleurs ou les formes qui leur donnent accès à une récompense.
Les salamandres avec lesquelles nous travaillons au laboratoire nous reconnaissent très bien. Elles s’orientent vers les personnes chargées de les nourrir, mais elles ignorent les autres.
Anthony Herrel, directeur de l’équipe de recherche FunEvol au Muséum national d’Histoire naturelle

Corneille adulte transportant des matériaux pour le nid
CC BY 4.0 M.-L. Taÿ PamartL’usage d’outils et de médicaments
L’outil n’est pas le propre de l’humain. Pour déloger des larves ou des insectes dans un trou, les corvidés (oiseaux de la famille des corbeaux) vont jusqu’à en fabriquer, en tordant une brindille sur-mesure. Les loutres, quant à elles, utilisent des galets pour briser des coquillages tandis que les castors construisent des barrages de terre et de branchages. La primatologue Sabrina Krief a même montré que les chimpanzés (Pan troglodytes) malades des forêts congolaises et ougandaises sélectionnent des plantes pour nettoyer leurs plaies, réguler leur digestion ou se déparasiter.
Automédication chez les chimpanzés
La puissance du collectif
L’organisation fait émerger une intelligence sociale
« L’union fait la force ! » Pour beaucoup d’animaux, il ne s’agit pas que d’un slogan. Le groupe permet de réaliser des tâches inaccessibles aux individus, de démultiplier créativité et performance. C’est ainsi que les termites bâtissent leur nid, qui peut mesurer jusqu’à sept mètres de haut : de véritables cathédrales, avec des chambres spécialisées dans l’élevage ou encore le stockage de nourriture, construites de manière à réguler la température et l’humidité.
La communication au cœur des interactions
Dans le monde animal, les modes de communication sont variés. Pour savoir où déposer les amas de terre qui élèveront leur nid, les termites (Macrotermes bellicosus) répondent à des signaux chimiques laissés sur le sol par leurs prédécesseurs. Pour indiquer où se trouve une source de pollen, les abeilles domestiques (Apis mellifera) frétillent et leur danse dessine la direction à suivre.
Parole de bonobo
À l’image des gorilles de l’Ouest (Gorilla gorilla), de nombreux animaux vocalisent pour échanger des informations. Les bonobos (Pan paniscus) combinent ainsi leurs cris de manière complexe, comme des mots dans une phrase, formant une sorte de syntaxe que l’on croyait réservée aux humains !

Baleine
© ShutterstockUne connaissance culturelle
Les sociétés animales ont développé, au fil des générations, des savoir-faire et des connaissances spécifiques à leur environnement que les parents enseignent à leurs petits. Ainsi, au début du XXe siècle, les mésanges britanniques ont appris à percer les opercules des bouteilles de lait que des sociétés commençaient à livrer aux portes des particuliers. On sait aussi que les chimpanzés ont des manières différentes de capturer les termites selon le groupe dans lequel ils sont nés ou encore que le chant que les baleines utilisent pour communiquer varie selon la zone qu’elles fréquentent. Cette culture propre à chaque groupe souligne l’importance de la transmission dans le comportement animal. Elle constitue une base de connaissances sur laquelle repose leur intelligence collective.
Une gestion collective des émotions
Les éthologues ont décrit des chimpanzés qui consolent une mère qui a perdu son petit, des bonobos qui utilisent les relations sexuelles pour résoudre les conflits mais aussi des loups qui se réconcilient après une altercation pour assurer la cohésion de la meute. Les exemples ne manquent donc pas pour affirmer que l’empathie existe dans le règne animal. Les groupes apprennent ainsi à gérer les émotions négatives ou néfastes pour leur survie, disposant d’une qualité essentielle pour leur bien-être : l’intelligence émotionnelle.
L'amour existe-t-il chez les animaux ?
Relecture scientifique

Anthony Herrel
Directeur de recherche CNRS au Muséum national d'Histoire naturelle (Mécanismes Adaptatifs et Evolution MECADEV- UMR 7179)

Parc zoologique de Paris
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