
Écosystème marin
Corail
Parfois confondu avec un végétal ou un minéral, le corail est un superorganisme animal fascinant composé d’individus (polypes) solitaires ou regroupés sous forme de colonie.
Une définition difficile
Est-ce un végétal ? Est-ce un minéral ? Non ! C’est un animal ! Pendant des siècles, la nature de cet étrange organisme marin a fasciné et intrigué les naturalistes. Parfois utilisé comme une pierre semi-précieuse, le corail a surtout été qualifié de végétal au cours de l’Histoire. Dès le 1er siècle après J.-C, Pline l’Ancien effectuait les premières descriptions de corail rouge de Méditerranée (Corallium rubrum), observant qu’une fois remonté à la surface, ce corail devenait dur. Il n’en fallait pas plus pour considérer cet organisme comme une plante marine dotée de la capacité… de se transformer en pierre une fois sortie de l’eau !
Le saviez-vous ?
Dans les Métamorphoses d’Ovide, le poète latin propose une origine particulièrement sanglante au corail : après sa décapitation par Persée, la tête de la Gorgone Méduse aurait été déposée sur un lit d’algues. Le sang s’écoulant de la plaie aurait alors pétrifié des plantes marines, les métamorphosant en une pierre rouge vif, autrement dit en corail.
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, grâce aux travaux du naturaliste français Jean-André Peyssonnel, que le corail a trouvé sa place au sein du règne animal, plus précisément dans l’embranchement des Cnidaires, dont font aussi partie les méduses et les anémones. Et pour mieux comprendre cet organisme fascinant, il faut s'intéresser à son anatomie.
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Polypes de corail arborescent jaune (Dendrophyllia cornigera) à la Station marine de Concarneau
© MNHN - A. IatzouraBien que certaines espèces de coraux soient solitaires, la plupart vivent en groupes d’individus jumeaux qui forment une entité unique : la « colonie de corail ». Chaque individu, appelé polype, accumule à sa base et sur ses côtés un squelette externe de sa fabrication : il est massif pour les coraux dits « durs » et se compose d’un mélange d’aiguilles calcifiées et de matière organique pour les coraux dits « mous ». Dans la colonie, ce squelette est partagé entre tous les polypes, formant une mégastructure qui croît en continu tout au long de la vie du corail.
Et si les coraux appartiennent au même groupe que les méduses et les anémones, ce n’est pas pour rien ! Chaque polype a la forme d’un sac dont l’unique ouverture (qui sert à la fois à l’alimentation et à l’excrétion) est une cavité orale entourée de tentacules. Comme chez les méduses et les anémones, chaque tentacule est porteur de cnidocytes, des cellules urticantes contenant du venin et un mini-harpon, utilisées à la fois pour capturer de petites proies planctoniques et pour protéger son territoire. Mais la prédation est rarement suffisante pour subvenir aux besoins en énergie de ces animaux. Pour la compléter, nombre d’entre eux vivent en symbiose avec des micro-algues unicellulaires, les « zooxanthelles » 1. En pratiquant la photosynthèse, ces micro-algues hébergées dans les tissus du corail se nourrissent et apportent à leur hôte les éléments nutritifs nécessaires à sa croissance. En échange, le corail protège et nourrit les zooxanthelles en leur fournissant un milieu de vie stable et en leur permettant de recycler ses déchets azotés et phosphorés.
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Le mot « zooxanthelles » est une terminologie ancienne qui désigne en réalité des protistes dinoflagellés capables de photosynthèse, appartenant à la famille des Symbiodiniaceae.
Le saviez-vous ?
La symbiose qui unit ces deux organismes est une endosymbiose, car les micro-algues avec lesquelles le corail vit sont contenues dans ses tissus. Cette relation est également qualifiée de mutualiste puisque les deux partis en tirent des bénéfices. Comme ça, pas de jaloux !

Corail plateau (Montipora capricornis) et poisson porc-épic ballon (Diodon holocanthus) au Parc zoologique de Paris.
© MNHN - F.-G. GrandinLe corail tisse également des relations avec la faune et la flore marine qui l’entourent. De nombreux coraux coloniaux sont ainsi considérés comme des espèces ingénieures de leur écosystème : ils sont capables, en accumulant leur squelette calcaire, de créer diverses formes sous-marines (branchues, lobées, plates ou foliacées) modifiant significativement leur environnement et abritant une multitude d’organismes.
Ils forment ainsi l’un des écosystèmes les plus diversifiés de la planète : le récif corallien. Au-delà de son rôle de réservoir de biodiversité marine, celui-ci procure également d’autres services écosystémiques en formant par exemple une barrière physique de protection des côtes contre l’érosion ou en permettant de faire vivre directement ou indirectement des centaines de millions de personnes à travers la pêche et le tourisme.
Le saviez-vous ?
La Grande Barrière de corail, située en mer de Corail au large du Queensland (Australie) s’étend sur plus de 344 000 km² ! Une superficie vertigineuse qui fait d’elle la seule structure vivante visible depuis la Lune !
Là où la lumière se perd
Reposant en grande partie sur la symbiose avec des micro-algues photosynthétiques, la vie de nombreuses espèces coralliennes est dépendante d’un facteur primordial : la lumière. C’est pourquoi ces animaux vivent dans des eaux peu profondes, souvent chaudes et baignées par les rayons du soleil.
Pourtant, au-delà de 50 m et jusqu’à plus de 150 m de profondeur, là où la lumière se perd (la quantité de lumière y est inférieure à 1 % de celle de la surface), certains coraux subsistent, adaptés à la vie dans l’obscurité grâce, par exemple, à la modification de la nature des pigments photosynthétique de leurs microalgues symbiotiques. Ainsi, le corail Leptoseris hawaiiensis, récemment trouvé à une profondeur record de 172 m, a développé une symbiose supplémentaire avec une micro-algue filamenteuse du genre Ostreobium. Celle-ci, contrairement aux zooxanthelles, est capable de réaliser la photosynthèse dans des conditions de quasi-obscurité grâce à des pigments spécialisés, lui permettant de capter les longueurs d’onde qui parviennent encore à de telles profondeurs.
Il est même possible d’observer des coraux à plus de 1 000 m, dans ce que l’on appelle la zone bathypélagique, là où la lumière n’est plus présente. La photosynthèse y est impossible et pourtant des espèces coloniales comme Lophelia pertusa y construisent des récifs d’eaux froides. Pour se nourrir, ces coraux capturent simplement les particules organiques et planctoniques apportées par les courants sous-marins, tout en tirant des ressources nutritives de leur symbiose avec certaines bactéries (par exemple, celles assimilant le méthane des suintement froids et profonds). L’emplacement de ces coraux profonds est d’ailleurs souvent bien connu des pêcheurs puisque ces zones constituent des lieux de prédilection pour la reproduction de nombreux poissons.
Une séparation stressante

Blanchissement d'un récif corallien.
© The Ocean Agency - stock.adobe.comMalgré de formidables adaptations qui leur ont permis de traverser 240 millions d’années d’évolution, les coraux restent particulièrement sensibles aux variations rapides de leur environnement et aux stress qu’ils subissent à des fréquences toujours croissantes. 44 % des près de 900 espèces de coraux d’eaux chaudes bâtisseurs de récifs sont aujourd’hui classées en danger d’extinction, placées sur la liste rouge mondiale de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) !
Les réchauffement et la dégradation de la qualité des eaux côtières arrivent, sans surprise, en tête du classement des menaces qui pèsent sur les coraux (avec la surpêche et la destruction par urbanisation). Elles sont en effet à l'origine d’un phénomène particulièrement impressionnant : le blanchissement des coraux. Lorsque les coraux sont soumis à un stress intense (pollution, vagues de chaleur sous-marine, etc.), la symbiose avec les micro-algues est rompue et ces zooxanthelles sont expulsées du corail, laissant apparaître sous les tissus animaux transparents la blancheur du squelette calcaire. Ce blanchissement affame et fragilise le corail qui, si l’épisode de blanchissement est trop intense et prolongé, finit par mourir.
70 à 90 % des récifs coralliens devraient disparaître si le réchauffement planétaire atteint +1,5 °C, avec des pertes plus conséquentes (> 99 %) pour un réchauffement de +2 °C.
Rapport spécial du GIEC (2018).
À ces pressions subies par les coraux s’ajoutent également la sédimentation (qui limite la pénétration de la lumière et « étouffe » le corail), l’acidification de l’océan (qui ralentit la calcification), les prélèvements par l’être humain, les maladies ou encore les cyclones. Et si l’on pourrait penser que les espèces profondes sont à l’abri du danger, c’est loin d’être le cas : tout aussi sensibles au réchauffement (qui perturbe les courants marins et diminuent la taille du plancton) et à l’acidification de l’océan, ces coraux sont aussi particulièrement menacés par le chalutage profond, une pratique de pêche destructive qui consiste à racler les fonds marins à l’aide d’un énorme filet en forme d’entonnoir, capturant toutes les espèces sans distinction et détruisant par la même occasion les colonies construites depuis des centaines d’années par les coraux.
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Relecture scientifique
Isabelle Domart-Coulon
Maître de conférence au Muséum national d'Histoire naturelle (Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes UMR 7245)